Les formations ouvertes à distance (FOAD) contribuent fortement au développement actuel de l’enseignement supérieur (Harry, 1999), bien que leur progression soit en dessous des calculs prévisionnels (OCDE, 2006). Elles peuvent être définies comme « une démarche qui vise à élargir l’accès aux services éducatifs et de formation en permettant aux apprenants de franchir les obstacles que représentent l’espace et le temps et en proposant des modalités d’enseignement souples aux individus comme aux groupes d’apprenants » (UNESCO, 2006). Leur potentiel éducatif revêt un intérêt tout particulier en Afrique, où les universités sont confrontées à la « triple contrainte d’une forte croissance des effectifs de l’enseignement supérieur, de marges budgétaires réduites et d’un marché de l’emploi peu porteur » (Gioan, 2007, p. vii). Il en résulte un retard considérable de l’enseignement supérieur africain : alors que le taux brut de scolarisation dans l’enseignement supérieur se situe à 26 % au niveau mondial en 2007, celui de l’Afrique est de 6 % (Institut statistique de l’UNESCO, 2009, p. 14). À cet égard, les FOAD sont souvent perçues comme une alternative intéressante. Leurs modalités pédagogiques permettent d’accueillir un plus grand nombre d’étudiants pour un coût moins élevé que le présentiel (Brossard et Foko, 2007). Leur flexibilité spatio-temporelle contribue également à diversifier la clientèle attendue, en intégrant notamment des professionnels déjà en fonction en plus des étudiants en formation initiale (Gilbert, 2000). À ce titre, les FOAD sont susceptibles de contribuer de façon efficace au développement d’une main-d’œuvre africaine qualifiée, ce qui explique pourquoi elles sont par exemple mentionnées dans le Plan d’action de la Seconde décennie de l’éducation pour l’Afrique (2006-2015) en lien avec l’enseignement supérieur. Le développement des FOAD est toutefois confronté à des difficultés au niveau de l’équipement informatique, de l’organisation et des compétences professionnelles. Dans cette perspective, cet article expose les résultats partiels d’une étude mixte de trois ans (2007-2010) portant sur les formations ouvertes à distance (FOAD) offertes par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). Il aborde, au moyen d’une analyse qualitative d’entrevues, la contribution des FOAD pour le développement des professionnels africains en ayant pour objectif de mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans le suivi des FOAD.

Contexte

De par le nombre de politiques, d’initiatives locales, nationales et internationales et d’études empiriques disponibles sur le sujet, il est possible d’avancer que les TIC constituent assurément un objet d’intérêt en contexte africain. Leur rôle est pourtant perçu de manière variable. Ainsi, certaines études scientifiques sur le sujet semblent développer un argumentaire davantage idéologique qu’empirique. En filigrane d’un tel argumentaire se trouve l’idée que les TIC formeraient un vecteur inconditionnel et automatique de développement socio-économique des pays africains, ce qui semble relever d’une vision idéalisée des TIC, d’un « mythe de la technique » (Tiemtoré, 2007, p. 9). D’autres études adoptent le point de vue inverse et avancent que les TIC ne sont qu’un aspect de plus contribuant à renforcer les inégalités et les rapports de force en présence (voir par exemple Albirini, 2008). Entre ces deux extrêmes, relevant de logiques technophobes et technophiles (Sfez, 2002), certaines études optent pour une approche plus rationnelle et s’appliquent à considérer les TIC pour ce qu’elles sont, à savoir, des outils au service d’une population donnée, et qui la modifient en retour (Polikanov et Abramova, 2003). C’est dans cette optique que nous abordons les TIC dans cette étude, en reconnaissant le potentiel des FOAD pour le développement des pays africains, mais également les limites auxquelles elles se heurtent, ce qui fait l’objet des sections suivantes.

Potentiel des FOAD pour le développement des professionnels africains

En contexte africain, les FOAD semblent susceptibles de contribuer à freiner une tendance supposément négative pour le développement des professionnels qualifiés, à savoir, leur migration vers les pays du « Nord », ce qui est communément appelé la fuite des cerveaux. Cette dernière a longtemps été décriée comme un contre-développement pour les pays africains, dû au fait qu’elle diminuerait leur capital humain au profit de celui des pays occidentaux (Docquier, 2007). Cette position est de plus en plus nuancée par certains auteurs (voir par exemple, Meyer et Charum, 1995 ; Cervantes et Guellec, 2002), lesquels avancent que la migration des professionnels africains a aussi des impacts positifs pour les sociétés d’origine, notamment au moyen des TIC. Docquier (2007) cite, entre autres, « les transferts de fonds, le retour des migrants après avoir acquis des connaissances à l’étranger, la formation de réseaux de contacts commerciaux, les effets des perspectives de migration sur la formation de capital humain, les effets de gouvernance et de discrimination ethnique » (p. 73). Dans cette perspective, la fuite des cerveaux ne correspondrait pas uniquement à une « expropriation intellectuelle », comme elle a été traditionnellement dépeinte, mais à un phénomène complexe de pertes et de gains en interaction les uns avec les autres et dans le temps, ce qui inviterait à reconsidérer les cadres de référence utilisés jusque-là.

C’est dans ce contexte que nous situons le potentiel des FOAD pour les pays africains, en tant que dispositifs de formation flexibles permettant aux apprenants de suivre une formation professionnelle externe à leur milieu socioculturel immédiat tout en y restant, ce qui contribuerait à faciliter le réinvestissement de leurs compétences professionnelles dans leur contexte local. Dès le commencement des FOAD, certains auteurs ont perçu leur potentiel pour le développement africain. Ainsi, Jacquinot souligne déjà en 1993 que les FOAD sont susceptibles « d’éviter la fuite des cerveaux et les difficultés inhérentes à la transplantation culturelle » (p. 57), argument encore en vigueur aujourd’hui (voir, par exemple, Moughli et al., 2008). Les FOAD recèlent donc un potentiel non négligeable pour le développement des professionnels africains. Elles se heurtent toutefois à certains défis.

Défis liés aux FOAD en Afrique : une question de distance ?

Pour présenter les défis liés aux FOAD en contexte africain, il nous semble opportun d’exploiter le cadre proposé par Jacquinot (1993), pour qui le degré d’accès et d’usage des TIC est attribuable à une série de distances, que nous revisitons pour l’adapter au cas d’apprenants africains suivant des FOAD majoritairement dispensées par des universités « du Nord » :

la distance spatiale : parce qu’il s’agit du sens littéral du terme « distance », ce type de distance est sans doute celui qui a le plus motivé la création et l’essor des FOAD. En effet, suivre une FOAD vise en premier lieu à se défaire d’une contrainte spatiale : celle d’être physiquement présent aux côtés de l’enseignant. En contexte africain, la distance spatiale permise par les FOAD permet de compenser l’offre réduite de formation en présentiel. Elle peut toutefois devenir une barrière si les apprenants africains ne sont pas nécessairement à proximité d’un équipement technologique nécessaire au suivi d’une FOAD. Y participer implique alors des déplacements physiques dans des lieux technologiquement équipés, tels que les Centres numériques d’apprentissage de l’AUF ou les cybercafés (Karsenti et Collin, 2010). En ce sens, le dépassement de la distance spatiale initialement permis par les FOAD entraîne en contrepartie une nouvelle distance spatiale pour ceux dont l’équipement technologique n’est pas à proximité ;
la distance temporelle : comme le rappelle Jacquinot déjà en 1993, les FOAD se caractérisent également par une double distance temporelle : la gestion du temps de formation est généralement plus flexible qu’en présentiel, ce qui demande en contrepartie aux apprenants une plus grande responsabilité et des capacités d’autorégulation quant à leur rythme de formation ; par ailleurs, la communication partiellement ou entièrement asynchrone des FOAD entre les apprenants et les enseignants peut également constituer une contrainte supplémentaire pour certains apprenants, que l’interaction en face à face en salle de classe ne poserait pas ;
la distance technique : ce type de distance renvoie à la maîtrise des technologies nécessaires au suivi d’une FOAD. En effet, la FOAD introduit une instrumentation technologique supplémentaire à ce que propose le présentiel et demande par conséquent la maîtrise de cette instrumentation. En Afrique, la présence timide des TIC tend à limiter le développement des compétences technologiques des apprenants suivant une FOAD. À cette première distance technique peut s’en ajouter une deuxième : celle du dysfonctionnement ou de la vétusté du matériel technologique, lorsqu’il est accessible (voir la distance spatiale sur ce dernier point) ;
la distance socioéconomique : ce type de distance renvoie au niveau socioéconomique des apprenants, lequel détermine en grande partie les ressources matérielles (équipement technologique, financement) disponibles pour suivre une FOAD. Dans le contexte africain, plusieurs auteurs (Oladele, 2001 ; Intsiful, Okyere et Osae, 2003 ; Selinger, 2001 ; Tunca, 2002) relèvent le manque d’outils, la logistique inopérante, l’insuffisance ou le défaut d’infrastructures technologiques. La distance socioéconomique avec les FOAD dispensées par les pays « du Nord » est donc non négligeable et constitue à ce titre une des barrières principales des FOAD en Afrique ;
la distance socioculturelle : ce type de distance est loin d’être anodin. Plusieurs auteurs ont déjà pointé du doigt l’ethnocentrisme des sciences de l’éducation, lesquelles sont essentiellement fondées dans la perspective d’un individu blanc occidental, ce qui exclut d’emblée ceux qui ne répondent pas à ce profil et aux valeurs qui le sous-tendent (Akkari, 2002 ; Mott, 2006). À titre d’exemple, la capacité des individus (élèves ou professionnels) à travailler individuellement ou collectivement est en grande partie déterminée par leur culture d’origine, comme l’ont montré plusieurs études (ex. : Allen et Boykin, 1992 ; Cassady et al., 2004). Ce point est également vrai pour l’ingénierie des FOAD (Blanchard et Frasson, 2005 ; Henderson, 1996) et devient particulièrement important lorsque les FOAD ont une portée internationale ;
la distance pédagogique : « La » dernière distance est d’ordre pédagogique. Parce que les pratiques pédagogiques sont fortement déterminées par la culture dans laquelle elles prennent place, la distance pédagogique peut être vue comme un sous-ensemble de la distance socioculturelle. Ainsi, la pédagogie basée sur l’enseignement transmissif et magistral est encore très présente dans les systèmes éducatifs africains, ce qui peut s’avérer difficilement compatible avec le paradigme constructiviste qui prévaut dans la conception des FOAD occidentales.
Ce bref aperçu nous permet d’avancer que les FOAD ont un potentiel intéressant pour participer au développement des professionnels africains sans que l’on sache actuellement si les défis rencontrés, que nous avons abordés en termes de distances, permettent d’actualiser ce potentiel ou non. Pour tenter d’y répondre, cet article cherche à mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans le suivi des FOAD en contexte africain.

Méthodologie

Dans le cadre de cette étude, nous avons ciblé les FOAD soutenues par l’Agence universitaire de la francophonie (AUF). Au total, il s’agit d’une cinquantaine de FOAD de niveau licence ou maîtrise offertes par des institutions d’enseignement supérieur de Belgique, du Burkina Faso, du Cameroun, du Québec, de France, du Sénégal et de Tunisie. Le rôle de l’AUF est d’encourager des étudiants et des professionnels africains en formation continue à suivre une FOAD, tout en restant dans leur pays et en continuant à travailler. Notre étude a donc ciblé les apprenants africains inscrits à une des FOAD soutenues par l’AUF.

Plus précisément, nous avons fait passer des entrevues téléphoniques individuelles semi-dirigées (avec la téléphonie IP) à 24 participants ayant manifesté leur intérêt lors du remplissage d’un questionnaire diffusé préalablement. En sélectionnant les participants, nous nous sommes assurés d’une certaine répartition de notre échantillon suivant différents paramètres, tels que l’âge, le sexe, le pays de résidence et le degré d’avancement dans la FOAD suivie (i.e. participants suivant, au moment des entrevues, une FOAD ; participants ayant terminé, au moment de l’entrevue, une FOAD). Au final, notre échantillon se compose de 10 femmes et de 14 hommes, âgés de 23 à 47 ans résidant dans 15 pays différents. Douze d’entre eux suivaient une FOAD au moment de l’entrevue alors que les 12 autres avaient déjà terminé leur formation. Précisons que notre étude ne visait pas à différencier les participants suivant leur origine ethnique au sein de l’Afrique, malgré la richesse culturelle qui prévaut dans ce continent. Par conséquent, aucune analyse comparative n’a été effectuée sur le plan ethnique. Par ailleurs, comme les FOAD concernées étaient nombreuses et que l’accent a été mis sur les apprenants, nous n’avons pas souhaité détailler avec précision la conception propre à chaque FOAD observée. Cette étude se veut donc globale et consiste à dresser un portrait d’un profil d’apprenants (les apprenants africains) vis-à-vis d’un groupe de FOAD (celles soutenues par l’AUF).

Avant de procéder aux entrevues, nous avons élaboré deux protocoles : un à l’intention des participants suivant, au moment de l’entrevue, une FOAD soutenue par l’AUF ; l’autre à l’intention des participants ayant terminé une FOAD soutenue par l’AUF. Les protocoles ont été élaborés en fonction des thématiques suivantes : profil sociologique et technologique ; motivation à suivre une FOAD ; représentations de l’enseignement à distance ; difficultés et satisfaction à l’égard de la FOAD ; bénéfices tirés des diplômes acquis, ce dernier point ne s’adressant qu’aux 12 participants ayant terminé leur FOAD au moment de l’entrevue. Chaque protocole a été prétesté puis bonifié auprès d’un participant suivant ou ayant terminé, au moment de l’entrevue, le suivi d’une FOAD soutenue par l’AUF.

Les passations d’entrevues, d’une durée moyenne de 45 minutes, ont eu lieu à l’été 2009 via le logiciel de téléphonie IP Skype. Nous avons par la suite procédé à une analyse qualitative de contenu (L’Écuyer, 1990 ; Huberman et Miles, 1991) avec le logiciel QDA Miner. Elle a fait intervenir les phases suivantes :

Lecture du verbatim ;
Élaboration d’une grille préliminaire de codes à partir des différents thèmes émergeant de la lecture du verbatim ;
Codage de 25 % du verbatim et bonification itérative de la grille de codes en conséquence ;
Contre-codage des 25 % du matériel codé et bonification de la grille de codes en conséquence ;
Application du codage au reste du matériel ;
classement des codes en catégories ;
Interprétation.
 Par Thierry Karsenti, Simon Collin

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